Tatouage Magazine : Stéphane Chaudesaigues et Shane O’Neill, maîtres du portrait

Le 02/02/2014 | Mis à jour le 06/10/2015 Salons : Avignon, Chaudes-AiguesTatoueur : Stéphane Chaudesaigues

 

 

Portraits croisés, Stéphane Chaudesaigues - Shane O'Neill

 

 

Pourquoi aimez-vous le portrait ?

 

S.O’N. : J’étais illustrateur il y a onze ans et dans mes peintures, mes dessins … avant même de tatouer, je faisais du réalisme. J’ai ensuite découvert les quelques très bons tatoueurs du genre, Stéphane Chaudesaigues, Tom Renshaw… dans les magazines et j’ai très vite été attiré. Pour moi ces tatouages sont techniquement les plus durs. Ce sont aussi les rares à impressionner suffisamment les gens, qui habituellement n’aiment pas les tatouages, pour leur faire changer d’avis.

S.C : j’aime beaucoup le portrait parce que chacun est une nouvelle découverte. Les visages sont toujours différents. Si tu as la chance de faire une photo du modèle, tu peux vraiment travailler ta lumière et sculpter, modeler le visage, un peu à la manière des studios Harcourt (célèbre studio photo spécialisé dans les portraits en N&B, ndlr).

Quelles sont vos influences et vos références ?

S.O’N. : Tom Renshaw, jack Rudy, Brian Everett, Stéphane Chaudesaigues, Mike de Vries, Roberto Hernandez, Bob Tyrell avec qui d’ailleurs nous avons commencé à tatouer le même mois de la même année.

S.C. : Les premières sources qui tenaient vraiment la route de Jack Rudy, Brian Everett et Darren Star en Angleterre. Mais en Europe les plus saisissants venaient de Tin-Tin.

Le portrait est-il démodé ?

S.O’N. : Non. Comme le tatouage traditionnel américain. Actuellement, il est très populaire au Etats-Unis. Depuis 20 ans, le réalisme et le portrait ont fait tellement de progrès, poussés par des artistes de plus en plus talentueux ? Aujourd’hui, je ne pense pas que le portait noir & blanc puisse encore progresser, je pense que la seule direction désormais est celle qu’a prise Stéphane depuis des années, c’est-à-dire garder le photoréalisme mais le dépasse avec quelque chose de plus personnel.

S .C. : Pourquoi ? Ça devrait ? Non, bien sûr que non. S’il est bien fait, ce n’est plus le personnage tatoué que tu regardes mais la technique de celui qui l’a fait. Mais il y a des gens qui ne veulent pas traîner l’image de quelqu’un d’autre sur eux. Ceux-là ne viendront jamais au portrait.

D’ailleurs concerne-t-il une catégorie particulière de tatoués ?

S.C. : Je pense, c’est possible. Je prends l’exemple de Rose, une femme d’une soixantaine d’années, une mamie qui n’a rien à voir avec le tatouage. Elle a perdu son papa quand elle avait 6 ans et à plus de 60 ans elle est venue se faire encrer son portait. Il lui manquait. Le portait peut-être loin de la démarche de se plaire, d’une démarche esthétique ou de customisation, on est plus dans l’affectif.

S.O’N. : Oui, vraiment. Pour certains, un portrait sera sans doute le seul qu’ils auront de toute leur vie. Ils n’auraient jamais été tatoués s’ils n’avaient pas découvert le portrait. C’est souvent à la mémoire de quelqu’un.

Quelles sont les principales motivations des clients ?

S.O’N. : il y a jusqu’à cinq ans environ, c’était lié à la mort et à la mémoire. Mais les motivations changent avec l’éducation des gens. La plupart sont très surpris quand ils voient pour la première fois du réalisme bien fait, ils ne se doutent pas que le résultat peut être aussi puissant, aussi prêt d’un coup de crayon. Aujourd'hui les motivations tournent plus autour de l’amour, l’attachement à une célébrité…

S.C. : A la base, c’est effectivement pour combler un manque, passer une étape, dépasser un deuil… Ensuite, il y a ceux qui veulent créer un lien fort avec un être cher, que ce soit un mari, une épouse, des enfants, un animal domestiques… Ce qui arrive régulièrement, j’ai souvent fait la tête du chien sur son maître.

C’est souvent comme ça qu’on le voit, le portrait doit-il être noir & gris ?

S.O’N. : Non, même si c’est effectivement ce qui marche le plus c’est en train de changer. Ensuite tout dépend de la blancheur de la peau, plus elle se rapprochera d’une feuille de papier plus il sera facile de travailler sur les nuances de gris.

S.C. : Quand on voit le travail de certains, non, mais je le propose plus volontiers. Ca vieillit super bien, c’est classique, ça fait moins mal que la couleur, c’est aussi plus facile pour moi à nettoyer. Ensuite je fais des mixtures avec mes gris, ce qui tend à rendre certaines couleurs plus denses, comme par exemple le blanc qui a côté d’un gris-bleu paraît plus blanc qu’à côté d’un gris simple.

Quelles sont vos priorités dans le travail du portrait ?

S.O’N. : la principale concerne le regard, c’est des yeux que sort la personnalité du sujet. Ensuite la deuxième priorité c’est la lumière, car elle influe sur le ressenti.

Quelle est la bonne taille pour un portrait ?

S.C. : Idéalement, environ celle d’une main. La mienne est grande mais c’est à peu près ça.

Quel est le meilleur endroit pour le placer ?

S.O’N. : Là où la peau est la plus claire. A l’intérieur de l’avant-bras c’est très bien, car la surface est assez importante, le portrait tient bien et n’est jamais en torsion donc déformé et puis il est souvent en exposition donc tendu au regard des autres. J’aime aussi beaucoup les côtes pour la texture de la peau et la cicatrisation, où de plus le tatouage reste souvent caché du soleil.

S.C. : L’avant bras est aussi mon favori. Un gros bras, pas trop musclé ni trop gras, bien rond avec une peau bien blanche – à ce sujet je tiens à préciser que dorénavant à la boutique, une personne s’occupe du détatouage avec des résultats stupéfiants pour « nettoyer » la peau avant de la recouvrir. Sinon, je place généralement la tête sur la surface la plus importante et le bras vers le poignet. Et si le client a de bons mollets, ronds et plats, c’est nickel.

Pourquoi les portraits sont-ils souvent tournés vers celui qui regarde ?

S.C. : J’ai seulement fais deux fois dans ma vie des portraits tournés vers le client et non vers l’extérieur. C’est un peu comme si on te présentait un livre à l’envers. Si je regarde ton bras et que je dois me tordre la tête, c’est dommage. De plus, si c’est réussi, je veux qu’on le voie.

S.O’N. : Moi aussi, deux fois. C’est aussi plus facile pour le montrer.

Le portrait est-il le style le plus proche de l’art classique ?

S.C. : je ne peux pas dire ça, car tout peut-être artistique. C’est dans le traitement que tu vas le définir, si tu peux sentir qui est la personne que tu vois. Et ce n’est pas parce que c’est bien fait que c’est artistique. Ça l’est dans la recherche de la sensibilité et sans doute le travail de la lumière. Ensuite, il y a les matières et leurs traitements qui feront que l’on reconnaît un artiste.

Quelles sont les qualités d’un bon portraitiste ?

S.O’N. : Ne pas trop poser de questions ! Pour certains portraits de défunts je ne demande pas la raison du décès car je ne veux pas ramener chez moi ce poids.

S.C. : Peut-être le sens de l’observation et savoir rendre les matières avec différentes techniques. A la limite, je préfère un portrait moins bien réalisé, moins photocopié, mais il faut que l’on sente qu’il y a de la pêche et de la vie dedans. J’aime être interpellé.

Quand on est un bon portraitiste, comment se distinguer d’un autre ?

S.C. : C’est dans le traitement, la sensibilité, c’est le travail du tatoueur de mettre en avant un trait physique fort qui va parler au nom de la personne, les mains par exemple. Il y a aussi le travail de la matière, sentir le poil, l’eau, la plume… c’est comme ça qu’on retrouve la patte de quelqu’un. Personnellement, j’aime bien les zones de flou pour ensuite mettre l’accent sur les yeux, le nez… et aussi rentrer dans le délire de « l’inachevé » : mettre quelques traits pour dégager la personnalité du portrait, le reflet de l’âme, sans tomber dans le soucis du détail à tous les étages, la veste, la montre…

S.O’N. : Certains vont préférer travailler avec une touche plus douce, avec des contrastes moins forts, d’autres avec des lumières plus fortes ou des contours plus ronds. Moi, j’ai toujours le souci de « dupliquer » la photo. C’est vrai qu’une fois arrivé à un certain niveau tu as le choix entre t’arrêter là ou de laisser d’autres artistes t’inspirer et te faire évoluer. Pour le tatoueur c’est comme une bataille. Mon travail d’aujourd’hui par exemple est différent de celui d’il y a trois ans, mais en fin de compte il y a une approche personnelle que je ne veux pas changer ni oublier car en allant trop loin j’ai peur de régresser.

Personnellement et émotionnellement, est-il plus dur pour un tatoueur de faire du portrait ?

S.O’N. : Oui, sans doute. Émotionnellement, c’est plus lourd que pour d’autres styles. Il y a certainement plus d’histoire qui pourraient être racontées avec le réalisme. Souvent les clients pleurent quand ils regardent leur tatouage fini dans la glace. Certains tatoueurs veulent tout savoir pour s’imprégner des détails et le retranscrire dans leur dessin, pas moi.

Parmi toutes les histoires quelle est celle qui vous a le plus touchés ?

S.O’N. : Il y a cette histoire avec un groupe de filles d’à peine 18 ans en voiture, percutée accidentellement par une autre. Les filles sont mortes, le conducteur était lui indemne. Les parents d’une d’entre elles étaient ruinés, ils sont venus le lendemain se faire tatouer le portrait de leur fille et m’ont parlé d’elle, des détails de l’histoire, c’était très dur pour moi qui ai aussi des enfants.

S.C. : Rose dont je parlais plus haut ou ce prothésiste dentaire ayant perdu son Colley et qui quand il est en short, assis ou je ne sais quoi veut voir son chien tatoué sur la cuisse.

 

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