Hard Rock Magazine : Stéphane Chaudesaigues, le tatouage à Paris
Le 06/03/2015 | Mis à jour le 08/10/2015 Salons : Avignon, Chaudes-AiguesTatoueur : Stéphane Chaudesaigues
Alors que la troisième édition du Tattoo Art Fest de Paris prend lentement forme, c’est l’occasion de s’entretenir avec l’un des représentants de la scène artistique du monde du tatouage français, Stéphane Chaudesaigues.
Peux-tu nous parler de ton parcours personnel ?
Stéphane Chaudesaigues : j’ai commencé très tôt (11 ans) à me faire piquer. Je voulais marquer ma différence, montrer que je m’appartenais et que personne ne pouvait décider pour moi. Ce n’était pas juste une crise d’adolescence, je suis toujours comme ça. Ensuite vers 18 ans, je me suis acheté du matériel et j’ai commencé à piquer dans le fond de mon appart. J’allais attendre chez les « vieux » tatoueurs de l’époque, pour glaner des infos. Mais c’était dur, rien n’échappait ou presque. Pour me faire la main je me suis d’abord piqué moi-même et puis les premiers clients sont arrivés, d’abord gratos. Mon premier client payant m’a permis d’acheter une paire de kickers à mon fils, je n’avais pas une thune. Je voulais réussir, je voulais être tatoueur.
C’est aussi un clin d’œil au roman de Zola qui parle de l’atavisme et qui est une notion de la nature humaine qui me touche de façon plus personnelle.
Annuellement tu vas travailler à Philadelphie aux US. J’ai l’impression que la culture du tatouage est nettement plus répandue dans les pays anglo-saxons, particulièrement aux Etats-Unis. La concurrence là-bas n’est pas trop rude ?
Je vais deux fois par an à Philadelphie, et ce pour plusieurs raisons : j’aime cette ville, j’y ai de très bon amis. Il y a une réelle culture du tatouage et c’est un vrai bonheur de voir des gens tatoués partout et dans tous les jobs. Il y a évidemment une « concurrence » là-bas due au fait qu’avec certains tatoueurs nous avons des styles similaires, comme Shane O’Neill qui se trouve dans le Delaware juste à côté de Philadelphie, mais c’est une concurrence saine et qui n’en n’est même pas vraiment une, car nous échangeons beaucoup sur nos techniques et sur le matériel.
J’ai également d’excellentes relations avec mon ami Bill Funk et sa femme Ana Paige chez qui je travaille quand je suis là-bas. J’ai une clientèle qui me suit depuis des années à laquelle se rajoute à chaque voyage de nouveaux clients et challenges.
Tu proposes des stages de perfectionnement pour les tatoueurs. C’est une façon de partager ton expérience et connaissance, est-ce relativement répandu dans le milieu du tatouage ou chacun joue-t-il plutôt perso ?
En France la notion de partages d’infos, d’apprentissage pi même de séminaire n’est pas très bien acceptée. Sans doute les tatoueurs ont-ils peur de créer leur propre concurrence. C’est une chose que je peux comprendre et c’est une des raisons pour laquelle je ne m’occupe que de gens qui sont déjà établis et qui savent déjà travailler. Le tatouage est un métier où bien souvent le tatoueur est seul avec son client, alors sans dire que c’est un milieu qui se la joue perso, je pense que les gens se méfient et n’accordent pas leur confiance facilement.
Il m’est arrivé d’être trahi après des années d’amitié tant personnelle que professionnelle, alors je peux comprendre. Aux USA c’est encore différent car il y a une réelle envie de partage. Dans toutes les conventions il y a des séminaires sur la techniques, le dessin, la peinture, les machines, comment faire tourner son studio… Il y a aussi des forums Internet pour échanger intelligemment sur ces mêmes domaines. Des groupes de travail et de réflexion se forment et les tatoueurs s’investissent pour faire évoluer leur profession.
Il est aussi plus facile de trouver un apprentissage et donc un maître qui va prendre en charge la formation. Il y a, quel que soit le pays, plusieurs « écoles » qui incluent les professionnels en fonction de leur style, de leur technique, ou de leurs affinités.
D’ailleurs, à ton sens, qu’est-ce qui fait un bon tatoueur ? N’importe qui peut se lancer là-dedans s’il le désire vraiment ou il vaut mieux avoir de bonnes notions de dessin auparavant ? Je suppose qu’il faut d’autres qualités pour s’y mettre, non ?
Un bon tatoueur ? Je ne sais pas comment cela se remarque, car il y a plusieurs façons d’envisager le tatouage et donc le tatoueur. Tellement de gens et de styles se sont emparés de la scène du tatouage. Non n’importe qui ne peut pas devenir tatoueur, il faut une bonne dose de motivation pour y arriver. Le technique peut s’apprendre mais je crois qu’il faut plus que cela. Il faut être investi. Ça prend toute la vie, il n’y a de la place pour rien d’autre. Ça aspire tout, on ne pense qu’à ça. Ensuite il faut faire une différence dans les tatoueurs : il y a les artisans (qui font du flash) et pour qui j’ai le plus grand respect car ce n’est pas facile d’être avec des clients non initiés tous les jours, et il ne faut pas oublier que c’est la réelle base du métier de tatoueur.
Ceux-là utilisent d’autres médiums que la peau, ils dessinent, peignent, font des photos. Ces tatoueurs-là, dont je fais partie, sont devenus des « noms ». Les clients ne se font plus seulement tatoueur mais ils se font tatouer par untel et ils ont une œuvre d’art sur le corps. On appelle ces clients-là des collectionneurs. Il est certain que ces artistes-là se nourrissent de leurs vies, de ce qu’ils voient, vivent, ressentent, et pour cette catégorie, oui l’aspect psychologique est important voire primordial.
Y a-t-il des choses, des motifs, des endroits sur le corps que tu t’es toujours refusé d’exécuter quel que soit le prix que la personne serait prête à te payer ?
Il y a des endroits sur le corps, tel que le visage que je ne veux pas faire car j’ai le sentiment que c’est un suicide social. La personne va être rejetée et ne pourra plus faire marche arrière. Et je ne veux pas être l’instrument d’un acte aussi radical. De plus je vois tellement de gens qui viennent se faire enlever des tatouages dans mes magasins grâce au laser, que lorsque c’est un endroit qui « sort du commun », je préfère que les gens soient sûrs d’eux. Pour ce qui est du reste, ça dépend de l’endroit ou je me trouve.
En effet vivre avec le cou ou les mains tatoués aux USA ou en Angleterre est plus facile. En France, à moins que ce ne soit un confrère ou une personne évoluant dans le milieu du marginal (musique, piercing…) je le déconseille car ça pose un réel problème d’intégration dans la société ainsi que pour trouver ou garder un boulot. En ce qui concerne les images, je ne suis pas fan de ce qui exprime des extrêmes politiques ou religieux, ce qui incite à la haine. L’humain n’a pas besoin d’en rajouter il a déjà pris tout le quota de haine à son crédit.
La plupart des excellents tatoueurs ne se contentent jamais de simplement exécuter une commande d’un client, il s’établit un autre rapport que celui simplement mercantile, et chaque tatoueur à la manière d’un véritable artiste a sa propre sensibilité, sa propre griffe. Comment définirais-tu ta spécificité ?
Comme tu le dis, il y a maintenant depuis une quinzaine d’années des « écoles » différentes qui se sont créées, avec des styles très différentes et des artistes imaginatifs et terriblement talentueux. Et les clients, comme je le disais plus haut, s’adressent à u tatouer bien particulier quand ils veulent se faire encrer. Ils viennent chercher un style, une sensibilité et une technique en particulier. Je ne peux pas parler pour tous les autres, , mais ceux que je connais bien comme Shane O’Neill, Bo Tyrrell, Tim et James Kern, Liorcifer et Dan Marshall travaillent à peu près comme moi.
Je fais du réalisme tant en couleur qu’en noir et gris. Le fait d’être très précis dans le traitement n’interdit pas d’écouter son esprit ou son inconscient et de faire des images différentes et réelles.
Quelle part de toi-même laisses tu généralement dans un tatouage ?
Je pense que ce que je laisse forcément dans un tattoo c’est une émotion que j’arrive à exprimer grâce à ma technique. Cette technique qui m’a fait connaître et que j’ai acquis seul et que je continue de perfectionner chaque jour. Ensuite il y a les images que j’ai créées de toute pièce et que les gens veulent se faire encrer ; alors là je laisse en plus une part de moi et de mon histoire.
Techniquement, comment préfères tu travailler ?
Je pars souvent d’une idée de base et ensuite, soit je fais des photos qu’ensuite je reproduis en dessin ou alors je dessine directement. Je fais ensuite une maquette montée sur le corps du client sur Photoshop afin qu’il puisse voir que ça donne posé sur son corps. Ensuite esquisse, carbone et bien sûr le tatouage.
En dehors du tatouage, tu sembles être enclin à toucher à d’autres formes artistiques telle la photo, la peinture ou encore le dessin. Ces différentes manières d’exprimer tes idées sont nécessaires pour pouvoir éviter de rester enfermé dans un unique médium qui parfois pourrait être trop limité de par le fait que tes œuvres ne t’appartiennent plus vraiment une fois le tatoué parti ?
Ce n’est pas une question d' enfermement, c’est au contraire une question d’ouverture. Ça permet d’appréhender le tatouage d’une façon différente. Et puis, c’est un tout, j’utilise la photo, le dessin, la peinture pour nourrir le tattoo. C’est le propre de l’artiste que de créer pour montrer, donner … Ce qui me plaît particulièrement avec le tatouage, c’est que « l’œuvre » vit réellement, elle est offerte, elle n’est pas un musée, elle est accessible. Il y a certains dessins dont j’ai eu du mal à me séparer, plus parce qu’ils représentaient une partie de ma vie que pour le dessin lui-même.
Ce qui est frustrant dans le tattoo, c’est que tu ne peux pas avoir le recul pour profiter de la pièce que tu as faite. En effet, une fois le tatouage terminé, le client s’en va et tu as de la chance si tu le recroises en convention.
J’ai vu qu’un de tes fils travaillaient avec toi dans le même domaine. Je suppose que ça doit être spécial et plutôt flatteur pour toi qu’il ait choisi de suivre la même voie que toi ? Lui as-tu livré quelques uns de tes secrets pour l’aider dans son développement de tatouer ou as-tu préféré considérer qu’il devait d’abord se former seul et comprendre un certains nombres de choses en se confrontant lui-même à la réalité du métier ?
En fait, j’ai mes deux fils qui travaillent avec moi et une de mes filles qui commence son apprentissage, durant les vacances car elle est encore au collège. C’est à la fois une grosse source d’inquiétude de savoir pourquoi ils ont choisi cette voie, de savoir si c’est réellement ce qu’ils veulent faire ou si c’est une histoire de se rapprocher de moi.
Dans le même temps, je suis extrêmement fier d’eux et des personnes qu’ils deviennent dans et à l’extérieur du monde du tatouage. J’ai toujours essayé de leur montrer que j’étais là, de leur donner des conseils, mais je veux qu’ils fassent leurs propres expériences et erreurs. J’essaye de faire en sorte qu’ils voient le plus de choses possibles et qu’ils rencontrent les meilleures.
Qu’ils prennent conscience que c’est une formation jamais achevée qu’ils commencent. Plus qu’une famille, c’est une véritable tribu que nous sommes dans le tatouage, car il y a mon frère Patrick et deux de ses enfants qui tatouent également.
D’ailleurs est ce un métier que tu conseillerais ? Peut être pas à n’importe qui ?
C’est un métier que je ne conseille pas car il est dur, très dur et éprouvant ( il suffit de voir le taux de suicide chez les tatoueurs). Ce sont souvent des écorchés vifs qui font du tatouage et ce n’est pas évident de garder la tête hors de l’eau. Il faut être fort.
As-tu déjà participé à une ou plusieurs éditions précédentes du Tattoo Art fest ? Faut-il avoir en tête de se faire tatouer ou alors être déjà tatoué pour se rendre sur ce genre de salon ?
J’étais présent aux deux dernières éditions du TAF. J’avais même réussi à faire venir quelques uns des meilleurs tatoueurs mondiaux qui y ont passé un super moment. La scène française a besoin d’un grand rassemblement, de se frotter à l’extérieur car peu de tatoueurs français voyagent, il est donc bien que ce soit les autres qui viennent nous rendre visite. Il y a eu de très belles rencontres. Ça donne la possibilité de voir d’excellents artistes, différents styles, de s’imprégner du monde du tatouage, d’admirer des vraies œuvres d’art .
Il n’est pas nécessaire d’être tatoué ou d’en avoir le projet pour venir, cela peut être une approche en visiteur. Tous les gens qui vont dans les musées ne sont pas ou ne deviennent pas peintre en sortant. Ils visitent, regardent, admirent. C’est pareil avec une convention, c’est pour le public le moyen d’avoir sous la main une expo de certains des meilleurs artistes mondiaux. Ça permet aussi au non tatoués d’apprendre la tolérance, car on ne demande jamais à quelqu’un qui ne porte pas de tatouage, pourquoi il n’est pas tatoué, alors que l’inverse est quasiment inévitable.
Propos recueilli par Sven.
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