Skin Deep n°161 : Stéphane Chaudesaigues
Le 07/06/2014 | Mis à jour le 08/10/2015 Salon : Tatoueur : Stéphane Chaudesaigues
STÉPHANE CHAUDESAIGUES, LA BÊTE HUMAINE.
Comment as-tu commencé dans le tatouage?
"Je voulais devenir tatoueur et j’ai découvert la machine à tatouer quand j’avais 18 ans".
"Je suis né en 1968 et j’ai 6 enfants. Mes deux garçons, Steven & Wesley travaillent avec moi à plein temps et je suis très fier d’eux. Moi, j’ai commencé à 19 ans, à une époque où le tatouage n’était pas un métier facile à pratiquer. Aujourd’hui, beaucoup de gens veulent se faire tatouer ; c’est à la mode. Ce sont les mêmes qui, il y a vingt ans, dénigraient le tatouage et le voyaient comme un élément négatif de la culture des loubards. Moi, j’aime le tatouage depuis l’enfance. Les tatouages étaient à cette époque des symboles puissants qui faisaient peur aux honnêtes gens.
Ils n’étaient pas très artistiques et ils venaient pour la plupart d’institutions comme l’armée ou la prison. Ils représentaient pour ceux qui les portaient la marque de l’appartenance à un groupe. Ils étaient chargés de controverse et ils me donnaient à moi, la sensation d’être en vie et d’avoir une forte identité.
Ces marques sur la peau m’ont permis de devenir qui je suis. J’ai commencé à tatouer, ce qui m’a donné la chance de me centrer, mais en même temps, cela m’a mis un peu en marge de la société Française. C’était le prix à payer pour me sentir accompli.
"La chambre est petite, il n’a pas le sou, il a la faim au ventre et ne peut pas vivre de son art". Pour l’artiste qui a une famille à nourrir, la vie de peintre n’est pas un choix très pragmatique.
Alors quand je suis devenu tatoueur, je me suis concentré sur l’aspect technique du tatouage et je me suis plongé dedans en brûlant les étapes de base normalement abordées par tout artiste tatoueur. Quelque chose de différent me poussait ; le désir de créer une image plus chargée de sens et de vie. Oui, cette sensibilité est pour moi un énorme trésor, mais aussi un fardeau que j’ai porté sur les épaules pendant toute mon enfance, une période durant laquelle je me suis forcé à grandir et à devenir un adulte afin de gagner mon indépendance.
Un enfant a parfois du mal à s’exprimer et certainement encore plus de mal à se taire quand on le lui ordonne. Plus tard, quand cet enfant a grandi et a pris le pli, il risque d’avoir pris l’habitude de se taire. Il est parfois difficile de clairement communiquer dans le carcan de la micro-société qu’est une famille. Le résultat ouvre parfois la porte à la violence, à la mutilation et à la destruction de soi. D’un autre côté, si l’on encourage l’enfant très jeune, il peut facilement devenir un artiste.
Qu’est-ce qui t’a motivé?
"Je voulais devenir tatoueur et j’ai découvert la machine à tatouer quand j’avais 18 ans. Mes premiers tattoos sont de la main d’Elvis ; iltravaillait à l’époque Rue de la Roquette à Paris. Il y avait aussi Bruno, de la Rue Germain Pilon à Paris.
Je me suis mis à mon compte en 1987 et j’ai ouvert mon premier atelier de tatouage à Avignon, Place Pignotte. Je l’avais appelé Art Tattoo, mais deux ans plus tard, je l’ai rebaptisé Graphicaderme."
C’était difficile de commencer dans le métier?
"Bien sûr, mais on m’avait laissé croire que j’avais une chance de me faire un nom dans la profession. Les standards du tatouage étaient encore assez limités, et mes connaissances superficielles m’ont amené à faire beaucoup d’erreurs.
Parle nous de tes idoles.
"Le travail de Tin-Tin m’a beaucoup impressionné en 1989". J’ai aussi été influencé par Kari Barba, Jack Rudy, Bernie Luther et Paul Jeffries.
Je tiens à remercier tous les anciens et tous les gens qui ont offert leur peau à mes aiguilles. Mon style, c’est le réalisme et je mets un point d’honneur à rendre mes tatouages aussi ressemblants que possible à la vie. Les gens viennent me voir et me demandent de leur encrer un être cher ; ils sont ravis du résultat. J’admire les artistes qui apportent leur contribution au monde du tatouage, comme Tim Kern, Shane O’Neill, Vyvyn Lazonga, Bill Funk et sa femme Anna Paige, qui viennent parfois me rendre visite à l’atelier."
Alors comme ça, tu es autodidacte?
"Je me suis fait moi-même en quelque sorte, mais dans la vie, on rencontre parfois des gens qui vous aident à évoluer. Des artistes ont bien voulu partager avec moi certains secrets qui m’ont permis de mieux comprendre et maîtriser mon art.
J’adore l’art. J’associe les mots avec de fortes émotions et j’en tire des images ; mes images et mon message. Ce message n’intéresse pas toujours tout le monde, mais il n’en demeure pas moins que c’est bien mon message, et qu’il est la trace de mon passage."
Quel est ton sujet favori?
C’est le réalisme. J’aime que les images soient fidèle à l’original. J’aime bien travailler en noir et blanc, mais je m’essaie aussi à la couleur.
J’aime bien travailler avec les courbes naturelles du corps."
Beaucoup de tes tatouages sont assez lugubres. Est-ce un choix délibéré?
"Oui, mais je regrette que ces images soient souvent tristes. Je serais peut-être un peu plus enjoué avec mes sujets si j’avais vécu une enfance plus heureuse. J’arrive à dire certaines choses avec des mots, d’autres avec mon corps et mon attitude, et je peux aussi me servir d’images qui déclenchent des questions ou qui apportent des réponses."
Qui étaient tes premiers clients?
"J’habitais dans un mauvais quartier en France ; il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que tout le monde sache que je tatouais. À l’époque, mon pote Max, qui était un pilier de comptoir, m’amenait beaucoup de clients, et je lui reversais une commission."
Quel est ton tattoo préféré?
"Ce sont les tattoos que j’ai faits sur mes deux fils (Steven & Wesley) ; ils travaillent tous les deux avec moi."
Comment vois-tu l’évolution du tatouage aujourd’hui par rapport à tes débuts?
"Je crois qu’il est beaucoup plus facile d’apprendre le métier de nos jours parce que l’information est absolument partout ; tout est beaucoup plus ouvert. Les standards du tatouage sont aussi beaucoup plus élevés et il y a beaucoup d’artistes de grand talent. Si j’étais débutant aujourd’hui, j’aurais sans doute du mal à me faire remarquer ; la concurrence est féroce.
Comment vois-tu ton avenir?
"Il m’arrive de temps à autre de vouloir changer de métier, mais je ne pense pas que c’est possible au train où je travaille. C’est ma destiné et c’est toute ma vie. J’ai la chance d’avoir des clients très satisfaits de mon travail ; ça me remplit toujours de joie. En ce moment, je travaille dans mes ateliers dans le sud de la France, et aussi à Paris.
Mon atelier privé à Paris est un sanctuaire qui me permet de créer en toute quiété. Je n’ai pas besoin d’avoir un magasin avec pignon sur rue, parce que mon carnet de rendez-vous est toujours plein remplit. Il m’arrive aussi de retourner aux sources, de faire un peu de travail à Orange et à Avignon.
J’aimerais bien commencer à incorporer de la couleur à mon travail, mais c’est délicat. Je crains de ne pas être en mesure d’obtenir des représentations aussi réalistes, parce que toute ma technique a reposé jusqu’à présent sur l’utilisation du noir. Mes tatouages racontent une histoire qui vient de mon passé, d’un besoin de trouver l’essence de mon existence dans notre société.
En tout cas, je revendique ma liberté d’expression à travers ce que crée. Ça ne plaît pas à tout le monde, mais je ne vais pas me taire pour autant
Maintenant que je suis installé à Paris, il m’arrive d’y inviter des amis ; des gens que j’admire et qui sont pour la plupart des tatoueurs."
Quelle est la récompense qui t’a le plus touché?
"C’est sans aucun doute le prix que j’ai gagné en 1992 lors de ma première convention de la National Tattoo Association. C’est la récompense qui m’a aussi permis de réaliser que ma vie personnelle était sans dessus dessous : j’avais consacré absolument toute mon énergie et mon temps au tatouage. J’étais vraiment obsédé par le tatouage et par le besoin que je ressentais d’avoir du succès. Aujourd’hui, je me contente de vivre ma vie.
Quelle est ta vision du tatouage en France?
"Je crois que les standards en France sont très élevés, surtout pour un pays si petit, où l’on rencontre une grande variété de styles. Ce qui me chagrine, c’est que les clients qui se font tatouer sont de plus en plus jeunes et sont très impulsifs. La France est un pays assez conservateur et le tatouage n’y est pas encore complètement accepté."
Penses-tu qu’il y a trop de tatoueurs sur la place et trop de gens qui veulent devenir tatoueurs?
"Je pense qu’il y a trop de gens qui se sont récemment mis au tatouage en y voyant un bon moyen de se remplir les poches. Ils ne sont pas assez investis personnellement dans leur travail et ne sont pas réellement des artistes. Je pense que le terme d’artiste tatoueur risque d’être corrompu et que notre artisanat est en train de se transformer en une industrie dont les clients sont devenus les victimes.
Qui sont les artistes qui t’inspirent?
"Il y en a trop pour tous les citer, mais je tiens à mentionner ceux que je connas le mieux, comme Shane O’Neill, Tim et James Kern, Liorcifer, Nikko, Mike de Macis, Joe Capobianco, Mike Devries, Joshua Carlton, Guy Aitchison, Robert Hernandez, Nikko Hurtado, Bob Tyrrell et Boris.
Je respecte énormément tous ces artistes qui apportent une nouvelle dimension à notre art, l’art du tatouage.
Longue vie à l’Art du Tatouage."
Credits
Texte & Photos: Paulo Cruzes chez For Your Eyes Digital
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